La terre nourricière et le
monde paysan (1ère partie)
9ème émission novembre 2005
Bonjour à toutes, bonjour à tous. Rappelons pour les nouveaux auditeurs que l’émission « Regards du Sud » veut élargir nos regards aux dimensions du monde, en essayant de répondre à la question vitale : « Comment construire, tous ensemble, un monde plus fraternel ? ». Cette 9ème émission au titre significatif : « La Terre nourricière et le monde paysan » se veut un double hommage à la Terre et aux paysans du monde. Elle nous parlera des agricultures et, à travers elles, nous entraînera très loin vers les grands défis de notre temps. C’est un sujet d’actualité brûlant, au cœur de l’Europe avec la PAC, mais aussi avec les négociations OMC à Hong Kong en mi-décembre. Rappelez-vous bien que c’est une émission d’espoir même si ce que vous allez entendre est parfois hallucinant. Espoir, en particulier pour les jeunes générations, espoir surtout parce qu’on sait aujourd’hui beaucoup plus qu’hier, on sait, par exemple, comment régler le problème de la faim dans le monde. Il y a 40 ans, il y avait de multiples interrogations et expérimentations, il n’y avait pas de réponse concrète aussi pertinente que maintenant,...
J’aime
la formule « Un autre monde est
possible » et je voudrais vous faire une confidence : il existe
déjà des hommes qui sont dans cet autre monde, qui pensent et agissent
autrement. On pourrait les appeler des Mutants,
ceux sont des sages, des pacifiques, des prophètes d’aujourd’hui, des Hommes
authentiques (avec un grand H), des consciences qui sont déjà dans cet autre
monde, au niveau de leurs réflexions, de leurs actions, de leur esprit et de
leur vie,…Dans mon panthéon personnel, j’en ai convié six à cette émission et je
m’appuierai pour chacun d’eux, sur un de leurs ouvrages. J’ai donc plaisir à
les citer avec l’ouvrage correspondant, un jour, promis, je m’attarderai plus
longuement sur chacun d’entre eux. Ceux sont toutes, des personnes passionnées
et exceptionnelles : Pierre Rabhi avec « Le chant de la Terre », Jean-Marie Pelt et « L’avenir droit dans les yeux », Hubert Reeves et « Mal de Terre », Nicolas Hulot et sa « Fondation pour la Nature et
l’Homme » avec l’ouvrage « L’impasse alimentaire », Jacques Berthelot auteur d’un énorme
pavé « L’agriculture, talon d’Achille de la mondialisation », Maurice Oudet,
l’animateur au Burkina Faso du site « www.abcburkina.net », souvent
cité dans nos émissions et son ouvrage « Le poids du commerce international sur les paysans
africains ». Leurs propos sur l’essentiel sont très voisins,
avec de légères nuances, et je partage leurs valeurs et leurs analyses, aussi,
ne m’en veuillez pas, pour ne pas alourdir les messages, je ne citerai pas
toujours le nom de l’auteur. Ceux sont tous des amis de pensée et des frères en
humanité. En préparant cette émission, je me suis rendu compte de la densité de
ce thème, aussi, rassurez-vous, je traiterai ce sujet primordial en deux
émissions successives.
Pour cette première partie, le fil directeur m’est apparu rapidement et se résume en un mot : « Dualité ». Une dizaine de dualités qui rythmera notre cheminement : dualité de types d’agriculture, dualité au niveau des terres, des approches économiques, des organismes de gouvernance mondiale, des discours, des peuples et des gouvernants, dualité des pauvres et des riches, dualité au cœur de l’Homme, dualité du Sens de nos Vies.
Avant d’égrener ces multiples dualités, presque caricaturales, je vous propose avec les mots de nos intervenants, une introduction qui décrira, à travers quelques chiffres, l’évolution de l’agriculture et des populations du monde. Hubert Reeves nous positionne tout de suite dans le vif et dans la dimension du sujet avec une interrogation majeure : l’Homme sera-t-il capable de se mobiliser pour empêcher sa propre élimination ?
La complexité croissante que nous percevons tout au long de l'histoire de l'univers est-elle viable ? 15 milliards d'années d'évolution pour l'avènement d'un être capable de découvrir l'origine de l'univers dont il est issu, de déchiffrer le comportement des atomes et des galaxies, d'explorer le système solaire, de mettre à son service les forces de la nature, mais incapable de se mobiliser pour empêcher sa propre élimination ! Voilà en résumé le drame auquel nous sommes confrontés aujourd'hui.
Il
y a 50 ans à peine, au sortir de la seconde guerre mondiale, appelée à produire
plus et plus vite pour nourrir une population en augmentation constante,
l'agriculture traditionnelle se retrouve très vite dépassée par la course au
rendement. La modernisation passe par l'industrialisation. Apparaissent les
engrais chimiques, les pesticides, la mécanisation, les monocultures et les
élevages intensifs où l'animal n'est plus qu'une machine à produire. Dans les
champs remembrés, les haies sont arrachées, les sols mis à nu, lessivés par les
pluies. Dans les exploitations, hommes et femmes, jugés peu compétitifs, sont
contraints d'abandonner leurs terres pour gagner les villes, c'est l'exode
rural. À partir des années 1960, les généticiens proposent de modifier les
espèces végétales et animales à leur source pour améliorer encore la
productivité.
Désormais la terre n'est plus perçue comme une matière vivante qui se régénère par elle-même, mais comme un matériau à contrôler pour rentabiliser les investissements d'une poignée de firmes industrielles internationales.
Si le monde agricole est le fil directeur de l'analyse proposée au débat, c'est qu'il apparaît comme le révélateur le plus significatif de la relation qui doit exister entre l'économie d'une part, la vie, le temps, le territoire et les hommes de l'autre, entre le marché et la société.
La souveraineté alimentaire, le maintien des paysans, le refus des OGM, la biodiversité, l'occupation du territoire, la diversité culturelle, la protection de l'environnement, la lutte contre les multinationales, dont certaines des plus puissantes sont agrochimiques ou agroalimentaires, sont des revendications qui font de l'agriculture un enjeu, une question centrale. L'agriculture est l'activité la plus partagée au monde ; elle est en train de devenir un axe central de contestation et une référence dans la résistance.
Depuis un siècle, nous dit Pierre Rabhi,
l'industrie a eu besoin d'une main-d'oeuvre abondante
et bon marché. Elle a drainé les populations rurales et a imposé aux
agriculteurs restants des engrais chimiques, des pesticides, des semences
sélectionnées et de
En conclusion de son énorme ouvrage, Jacques Berthelot nous dit que l'agriculture talon d'Achille d'une mondialisation hyper libérale repoussoir pourrait devenir la pierre d'angle d'une mondialisation à visage humain.
Quelques mots sur l’évolution de la population humaine par Hubert Reeves. Il y a deux millions d'années, la population des hominiens aurait été d'environ 10 000 habitants. Il y a 10 000 ans, elle avait atteint 10 millions d'habitants, sans doute en raison de l'accroissement considérable des vivres, dû au développement de l'élevage et de l'agriculture.
De 300 millions pendant l'empire romain, elle passe à 800 millions au début de l'ère industrielle (1750). De là, on assiste à une nouvelle accélération, liée aux innovations techniques : un milliard en 1800, 1,7 milliards en 1900, 2,5 milliards en 1950, 4 milliards à 1978, 6 milliards en 2000. La population mondiale devrait cesser de croître avant 2100 et ne devrait pas dépasser 10 milliards.
Quelques chiffres avec Jacques Berthelot sur l’évolution de la population paysanne : en France au début du 20ème siècle, les paysans représentaient environ la moitié des actifs français, vers 1950 le tiers des actifs et en l’an 2000 un peu moins de 3% des actifs. En l’an 2000, la moitié des actifs du monde sont paysans. Il y a 5% de paysans en Europe, 22% en Pologne, 36% au Maroc, 50% en Chine, 60% en Inde et 66% en Afrique noire. Rappelons donc qu’il n’y a que 3% de paysans en France et 0,5% en Grande Bretagne.
Selon la FAO, l’Union Européenne
comptait en 2000, 8 millions d’actifs agricoles sur des exploitations de
Décortiquons ces multiples dualités :
Deux types d’agriculture aux noms différents : la première agriculture traditionnelle, biologique, agro écologique, paysanne, familiale, (l’agriculture des pays du Sud et de l’Est), la seconde agriculture industrielle, chimique, intensive, hors sol (surtout des USA, de l’UE et de quelques autres pays).
Pierre Rabhi nous parle de l’agro écologie. Il nous dit d’abord que la Terre est sacrée. La Terre, nous sommes là pour la protéger, la cultiver et certainement pas pour l'exploiter. Quand je pense que nous avons remplacé ce beau mot de paysan par celui d'exploitant agricole ! C'est un véritable contresens et c’est tragique. Cela me met hors de moi. Nous ne sommes pas là pour dominer ou exploiter les plantes ou les animaux mais pour les aimer.
L’agro écologie, selon Pierre Rabhi, on peut dire qu’elle associe le développement agricole à la protection ou à la régénération de l’environnement naturel. L’agro écologie est issue d’une démarche scientifique attentive aux phénomènes biologiques. Voici quelques références techniques : un travail du sol qui ne bouleverse pas sa structure, une fertilisation organique fondée sur les engrais verts et le compostage des déchets d’origine végétale et animale, des traitements phytosanitaires faisant appel à des techniques aussi naturelles que possible, le choix judicieux des variétés les mieux adaptées, une gestion de l’eau fondée sur son économie et sur un usage raisonné et optimisé, le recours à l’énergie la plus équilibrée, des travaux antiérosifs de surface, la constitution de haies vives, le reboisement des surfaces disponibles, la réhabilitation de tout savoir-faire traditionnel, conforme à une gestion écologique et économique du milieu.
Quant à l’agriculture industrielle
ou intensive, elle contribue à la dégradation de l’écologie planétaire, qui,
comme nous le dit Jean-Marie Pelt, se trouve en mauvais état, malgré une prise de
conscience infiniment plus importante qu’avant. Toutes les modélisations,
toutes les observations, nous dit-il, convergent vers un constat des plus
inquiétants : la Terre est malade. La moitié des forêts tropicales ont disparu
depuis
Selon la FAO, 500 000 tonnes de pesticides périmés, non utilisés ou interdits, sont stockées dans des zones rurales, à proximité des champs et des puits. Tout comme les quelques 600 000 tonnes de farines animales inutilisables après le drame de la « vache folle ». On ne sait pas comment s’en débarrasser sans dépenser des sommes colossales.
Hubert Reeves nous dit que
l’accroissement exponentiel du taux d’extinction des espèces vivantes nous
ramène toujours à la même cause ultime : l’action de l’homme sur
Mais « le tout chimique » n’est pas un mal nécessaire. Par différents moyens (taxes, formations, incitations financières), certains pays du Nord comme les Pays-Bas, la Suède et la Norvège ont, en 10 ans, réussi à réduire de moitié leur recours aux produits phytosanitaires sans bouleverser pour autant leur économie. Le Danemark a lui aussi montré l’exemple en diminuant de 30% la quantité de pesticides utilisés depuis 1996.
A la précédente dualité d’agricultures, correspond une 2nd dualité, dualité de terres, en caricaturant à peine : Terre nourricière vivante face à une terre dopée malade.
Un mot sur la Terre nourricière : les êtres vivants du sol, de la Terre nourricière, l’humus. Les êtres vivants de cette terre ainsi que du compost assurent trois séries d’actions de décomposition des déchets organiques :
la fragmentation par les vers, les acariens, les
insectes... ;
la digestion, transformation chimique par les
enzymes des bactéries, des champignons, et par les sécrétions dans les tubes
digestifs des animaux ;
enfin l'incorporation dans le sol, lorsque le
compost est épandu, par les vers de terre et les microbes du sol.
Dans un sol fertile, le nombre de bactéries varie de quelques dizaines de millions à un milliard par gramme de terre.
Les vers de terre, de cette terre nourricière, sont d’infatigables laboureurs, puisqu'ils peuvent brasser jusqu'à 2000 t de terre par hectare. Ils aèrent le sol et, en digérant, libèrent des substances nutritives nécessaires aux plantes. Toutes ces espèces forment une masse considérable d'êtres qui vivent et meurent en silence, soit, par an et par hectare, plus de 120 tonnes qui se renouvellent.
Selon André Pochon►, le développement d'une
agriculture plus écologique doit reposer sur des exploitations
polyvalentes d'agriculture d'élevage. Nos grandes plaines céréalières
spécialisées, qui se sont affranchies des contraintes de l'élevage, connaissent
aujourd'hui de graves problèmes de baisse de fertilité des sols. De plus, sans
humus, plus de réserve d'eau dans le sol, alors que
inversement, la concentration des élevages hors sol entraîne des
excédents organiques extrêmement polluants, faute de superficies suffisantes
pour les répandre.
Pierre Rabhi parle même de catastrophe en ce qui concerne
Ouverture des marchés et libre échange au profit des multinationales comme 1er modèle, défendu par l’OMC et comme 2nd modèle la « souveraineté alimentaire », c’est-à-dire la survie et le développement humains au profit du monde paysan et des peuples de la terre.
Les accords internationaux
imposés par les pays riches pour la libre circulation des marchandises, sous
l'apparence vertueuse du libre-échange, me semble être la plus formidable
entreprise d'exactions contre les droits de l'homme, nous dit Philippe Desbrosses de
Les pays qui vont prochainement adhérer à l'Europe, dont l'agriculture est au stade de la paysannerie familiale, vont devoir en passer par les mêmes schémas que ceux qui nous ont été imposés. Car en dépit de toutes les dérives que l'on dénonce, le modèle perdure. C'est le résultat d'une étroite collaboration entre l'Union Européenne, avec la Politique agricole commune (la PAC), l'OMC et la Banque mondiale, favorisant les grands échanges financiers au détriment des échanges locaux de proximité, lesquels redonnent de l'autonomie.
Les ravages du libre-échange résultent du chantage bien connu des banques, qui exigent des autorités le développement ou la pérennité d'une agriculture industrielle en échange de devises pour s'acquitter de leurs dettes. C'est ce qu'a vécu en 1984 le Brésil, à qui il a été demandé de garantir la protection des marchés de pesticides d'une grande firme multinationale allemande contre un prêt de plusieurs milliards de dollars. De la même manière sa dette extérieure a été réduite en contrepartie d'un déboisement massif pour faire paître le bétail à destination des États-Unis. Les choses n’ont pas changé, et elles se sont même aggravées. Pour l'heure, la Banque mondiale et les accords de libre-échange continuent d’asphyxier les petits producteurs.
Ensuite
les petits cultivateurs locaux disparaissent, leurs terres sont rachetées par
les industriels de l'agriculture grâce aux subventions accordées. Non seulement
ce système participe à la destruction des sols, mais il provoque, on l'a vu,
l'exode de milliers de paysans, qui viennent grossir les populations pauvres
des bidonvilles. Les produits agricoles issus du productivisme des pays du
Nord, Europe et États-Unis, sont ensuite pour une large part exportés et vendus
à bas prix dans les pays du Sud, ce qui contribue encore à détruire la faible structure de l'agriculture traditionnelle.
Aujourd'hui, c'est quoi la nourriture, s'interroge Pierre Rabhi. C'est un créneau de profits considérables, nous dit-il. Les gros trusts agroalimentaires se disputent avec acharnement les parts du marché de l'alimentation. C'est pour ces trusts que travaille aujourd'hui l'agriculture mondiale. Nous vivons et nous mangeons sous la loi du marché si bien que nous assistons à un incroyable spectacle : l'alimentation mondiale n'arrête pas de se croiser sur les autoroutes.
Je vais vous raconter, nous dit-il, un fait divers qui s'est passé dans les années 70 et qui pourrait tout à fait se passer aujourd'hui. Je suis étonné qu’on n’en ait pas parlé davantage : un camion de tomates a quitté un jour l'Espagne pour l'Allemagne le jour même où un autre camion de tomates quittait l'Allemagne pour l'Espagne. Ils se sont percutés sur l'autoroute. Cela illustre bien la politique agricole commune.
Certains pays ont résisté et ont
montré qu’une agriculture de proximité était possible. La Chine a été pendant
longtemps un bon exemple. Un milliard et demi d'hommes ont obtenu leur
autosuffisance avec des moyens aussi archaïques que la houe et la traction
animale. La Chine nourrissait environ 13 personnes avec
L'expérience du Mexique avec l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain avec les États-Unis et le Canada), montre que l'ouverture commerciale vis-à-vis d'un pays ayant un niveau de développement très supérieur provoque une désindustrialisation, la liquidation de pans entiers de l'agriculture traditionnelle et un accroissement des inégalités sociales, nous dit Janette Habel.
Les agriculteurs indiens ont fait savoir aussi qu'ils ne permettraient pas de voir leurs moyens d'existence détruits par le système commercial injuste et distordu mis en place par l'OMC et la Banque mondiale.
Il est également exprimé qu'il ne faut en aucun cas compter sur le développement du tiers-monde pour résoudre les problèmes d'excédents américains et européens. En effet, soit les pays pauvres se développent, et alors ils ont tout ce qu'il faut pour produire eux-mêmes leur alimentation, soit ils ne se développent pas, et alors ils n'ont jamais assez d'argent pour payer leur nourriture.
Pour résumer cette dualité d’approche économique, un premier modèle dominant avec les EU et l’UE qui sont partisans du libre échange, avec subventions à l’exportation, et protection déguisée à l’importation de leur propre agriculture, un second groupe de pays avec la majorité des pays pauvres du Sud partisans de la « souveraineté alimentaire » et protection à l’importation, interdite actuellement par l’OMC. Une des difficultés provient d’un 3éme groupe de pays, qui veulent prioritairement ouvrir leurs marchés et sont pour le libre échange, mais contre les subventions à l’exportation. Il s’agit des 15 pays dits du groupe de Cairns, avec des pays poids lourds : Argentine, Australie, Brésil, Canada, Indonésie, Nouvelle-Zélande, Philippines, Afrique du Sud, …etc.
Une 4ème dualité est
recensée avec celle des organismes de gouvernance mondiale :
Si l'OMC, le FMI, et la Banque mondiale sont les agents institutionnels de la mondialisation, l'ONU est maintenant l'agent de l'universalisation des droits. Il est de toute urgence de développer une mondialisation de l’écologie capable de s’opposer efficacement aux méfaits et aux pollutions provoqués par la nouvelle mondialisation de l’économie.
« Le libre-échange n'est pas l'anti-protectionnisme. C'est le protectionnisme des forts et des puissants » nous dit l’indien Vandana Shiva .
Sachant que la compétitivité peut se définir comme « la capacité pour un pays à conquérir, a conserver et à accroître ses parts de marchés internationaux », on va montrer que la compétitivité des pays occidentaux n'existe que par la mise en oeuvre d'une batterie très sophistiquée de mesures protectionnistes de la pire espèce car camouflées à l'abri de définitions légalisées par l'OMC.
Les pays du Sud qui ne sont pas industrialisés, en premier lieu ceux d’Afrique noire, sont aussi les seuls à ne pas avoir eu la volonté ou la capacité politique de protéger leur agriculture à l’importation, compte tenu des pressions exercées sur eux par les pays occidentaux et par les organisations internationales qu’ils dominent : le trio Banque mondiale, FMI, OMC en tête.
A l’heure où la FAO elle-même recommande l'agriculture biologique comme modèle d'agriculture durable et engage d'importants programmes à l'échelle mondiale pour son développement, on peut s'étonner que politiques et réglementations aillent presque toutes dans le sens d'une industrialisation accrue de l'agriculture et prêtent main forte à ce qu’il ne faut pas craindre d'appeler un hold-up planétaire sur les ressources génétiques.
La Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) s'insurge que la validité des traités commerciaux ne soit pas actuellement subordonnée au respect des textes internationaux relatifs aux droits de l'homme. Les gouvernements et les instances économiques, au premier rang desquelles figure l'OMC, doivent veiller à ce que le libre-échange ne devienne pas une fin en soi, mais prenne au contraire comme finalité le développement durable et le respect des droits de l'homme. C'est pourquoi la Fédération internationale des droits de l'homme demande d'envisager la création d’un mécanisme qui serait chargé de veiller à la compatibilité des accords commerciaux multilatéraux avec les principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.
En 5ème point, une dualité de discours au sein même de l’Union Européenne. L’UE est pleine de contradictions résultant de la priorité donnée à la recherche à tout prix de la compétitivité internationale de l'agriculture européenne, contre toute logique économique, en vue de participer au festin des fabuleux marchés en expansion rapide attendue à moyen et long termes dans les pays du Sud, notamment d'Asie. L'avidité de l'Union Européenne, et plus précisément celle de ses firmes agroalimentaires et de la minorité de ses agriculteurs se prétendant compétitifs, lui a fait perdre toute raison.
En fait la plupart des produits sont subventionnés à tous les stades de l'amont à l'aval de la production, et les agriculteurs à toutes les étapes de leur vie professionnelle. Il est indispensable de montrer l'impasse dans laquelle s’est fourvoyée l'Union Européenne en poursuivant la chimère de fabuleux marchés agroalimentaires à conquérir à moyen et long termes.
La libéralisation de l'agriculture sert de monnaie d'échange à l'expansion des autres secteurs de l'Union Européenne. Et ne croyez surtout pas que la France première puissance agricole de l'Union Européenne, ait dû céder devant la majorité des 15 Etats membres car elle a au contraire particulièrement poussé à ce marchandage afin d'ouvrir de juteux marché pour ses Bouygues, Lyonnaise des eaux, Vivendi, Framatome et autres France Telecom...
Il apparaît clairement que les deux principaux protagonistes du commerce agricole mondial, les EU et l’UE, non contents d'avoir été pratiquement les seuls à en édicter conjointement les règles, se sont permis de les contourner et de les violer à une large échelle.
La réforme de la PAC de mars 1999, obsédée par la conquête des marchés mondiaux potentiels à moyen-long terme n'a pas tenu compte des pressions croissantes de la société civile européenne pour une agriculture paysanne réellement multifonctionnelle, plus soucieuse de la qualité, notamment sanitaire, des aliments, plus respectueuse de l'environnement, plus égalitaire dans la répartition des aides directes aux agriculteurs, plus soucieuse de ses autres effets non marchands - sur l'emploi et l'occupation du territoire, la qualité des paysages, le bien-être animal - mais aussi plus solidaire avec les agriculteurs du reste du monde et tous ceux qui souffrent de la faim.
La
PAC va tout droit dans le sens voulu, dans une stratégie de mondialisation
globale où le sacrifice de la paysannerie européenne est programmé en
contrepartie de l'ouverture des marchés juteux du reste du monde, notamment du
Sud, aux multinationales des secteurs de l'industrie et des services dont le
siège est basé dans l'UE. Pour juger correctement les effets de la PAC il faut
avoir bien conscience de cette stratégie réelle poursuivie, même si elle est
restée relativement secrète puisque politiquement impossible à « vendre » à
l'opinion publique. Répétons-le donc, la stratégie « globale » à long terme de
la Commission européenne est de sacrifier la grande majorité des agriculteurs
et de fait de l'agriculture en allant vers un « modèle agricole européen » de
quelques dizaines de milliers d'exploitations géantes capables de se passer de
toute subvention à l'exportation, de toute protection à l'importation et de
toute aide directe !
La Commission européenne précise : « atteindre seulement la moitié de la productivité moyenne de l'UE des 15 impliquerait déjà, à production constante, la destruction de 4 millions d'emplois agricoles dans les 10 nouveaux PECO (Pays d’Europe centrale et orientale) ».
Les positions de l’UE sont pour l'instant totalement incohérentes liées au double langage de la Commission d'abord un langage rassurant - sur le modèle agricole européen, l'agriculture multifonctionnelle et la sécurité sanitaire des aliments - en direction des agriculteurs et des consommateurs européens ; ensuite un langage offensif vis-à-vis du reste du monde où l'essentiel est de ressusciter un cycle du millénaire complet pour ouvrir de nouveaux marchés aux grandes entreprises industrielles et de services en plaidant pour un accroissement du libre-échange dans tous les secteurs, bradant ainsi l'agriculture européenne et, avec elle, toutes les agricultures paysannes du monde.
Une 6ème dualité, un fossé même, sépare de plus en plus, les gouvernants des peuples. Les raisons et les responsabilités sont multiples. Il n’y a qu’à voir la situation actuelle chez nous en France, c’est parti pour l’élection présidentielle de 2007, les déchirements dans la majorité des familles politiques, sont des gamineries irresponsables, dégoûtant de la politique tout citoyen sérieux. Alors qu’en ces périodes critiques, où d’urgentes décisions devraient se prendre pour notre avenir commun, l’inefficacité s’installe et les échecs se succèdent à tous les niveaux. 2005 était une année lourde d’échéances importantes : rien n’avance, tout cafouille. L’Europe s’étripe sur l’agriculture, l’ONU : un triple échec au niveau de sa réorganisation, au niveau de la lutte contre la pauvreté et au niveau du Conseil de Sécurité ; la dernière grande échéance de l’année avec l’OMC à mi-décembre à Hong Kong : cela se présente bien mal. Les dossiers majeurs de souveraineté alimentaire et du coton risquent de ne pas avancer beaucoup, avec les conséquences dramatiques garanties pour les plus démunis de la planète…
Un peu partout dans le monde, les divers ministères de l'agriculture ont eu pendant longtemps davantage tendance à soutenir l'agriculture intensive et hautement productive qu'a se préoccupée de la santé des consommateurs.
Il y a le problème des résistances des citoyens à accepter les solutions proposées pour stopper le réchauffement. En 2000, le vice-président des EU, Al Gore disait : « Le minimum d'actions, de dépenses, d'investissements scientifiquement nécessaires pour combattre le réchauffement de la planète dépasse largement le maximum politiquement faisable pour ne pas perdre les prochaines élections. »
Ceux qui tirent les dividendes de cette agriculture industrielle et intensive ne déposeront pas les armes par sympathie ou philanthropie. Seul un vaste mouvement d'opinion, bien relayé par les médias, peut nous aider à parvenir à nos fins. Car l'expérience a montré que l'on ne peut déléguer aux seuls élus politiques, trop facilement influencés par les groupes de pressions agricoles et industriels, la responsabilité de la définition et du contrôle de la politique agricole, laquelle doit devenir simultanément une politique alimentaire et du développement rural durable.
Un seul chiffre pour illustrer la 7ème dualité riches/pauvres : dans les années OMC 1995-1998 de forte libéralisation des échanges mondiaux, la fortune nette de 200 personnes les plus riches du monde a plus que doublée, fortune équivalant aux revenus de 41 % des humains, alors que la fortune des trois individus les plus riches dépassent le PNB global des 48 Pays les moins avancés (PMA).
Une 8ème dualité concerne le cœur et la conscience de l’Homme. Il y a souvent un fossé entre ce que souhaite l’Homme s’il écoute la générosité qui est en lui, et entre ce qu’il est prêt à accepter s’il écoute trop sa composante égoïste.
Enfin une 9ème et
ultime dualité, dualité du sens de nos vies, découle de ce qui a été exprimé
aujourd’hui, en disséquant les agricultures du monde : il existe un modèle
dominant assassin et suicidaire « Le profit sans limite avec l’obligation de croissance » et une alternative à ce modèle, que Pierre Rabhi appelle « La
logique du vivant, centrée sur l’Humain et la Nature ». Pierre Rabhi, à travers l’association « Terre et Humanisme »,
et avec le mouvement « Oasis en tous lieux », nous appelle à une « Insurrection
des consciences ». Il ne peut y avoir, nous disent-ils, d’alternative
globale sans changement radical de la logique qui domine le monde d’aujourd’hui
et qui concerne tous les domaines : l’agriculture, mais aussi l’industrie,
les ressources naturelles, l’économie, la santé, l’éducation, l’artisanat,
l’art, etc. Le modèle dominant actuel est caractérisé par « Concentration
et spéculation. Epuisement et dissipation des ressources. Destruction de la
biosphère et de l’humain. Le temps, c’est de l’argent. La terre nous appartient ».
L’alternative, souhaitée à mon avis par plus de 80% des humains, se
caractérise, nous disent-ils, par « Renouvellement, pérennité, échange,
dynamique entre les espèces vivantes. Le temps, c’est de
J'entends souvent de grandes et
belles paroles mais cela ne suffit pas, nous dit Pierre Rabhi.
Nous devons nous incarner. Il y a une telle distorsion entre ces proclamations
et
Chaque fois que je reviens d'un voyage en Afrique et que je retrouve la modernité, je me rends compte que cette modernité est une imposture. Nous sommes tombés dans l'horreur d'un soi-disant progrès humain qui ne bénéficie qu'à peu de monde, qui est destructeur et qui aliène. Il n'est pas normal qu'une personne doive donner sa vie entière pour avoir tout simplement quelque chose dans son assiette. Il n'est pas normal qu'on consacre tellement de temps et d'énergie pour fabriquer des inutilités. C'est stupide, cela n'est pas digne de la condition d'homme.
Il ne faut plus que l'argent soit la mesure de tout. « Time is Money », on ne saura jamais l'importance de cette affirmation. Elle est à l'origine de la schizophrénie qui menace la planète entière.
Il s'agit de l'avenir de nos enfants. Nous ne pouvons pas laisser la fripouillerie internationale détruire leur avenir. Vous allez me dire que j'utilise de grands mots mais cela me rend malade de voir ce qui se passe. Comme je suis malade de voir des enfants mourir de faim. Ce n'est pas une idée, croyez-moi, j'en vois à chacun de mes voyages en Afrique. Alors que ce problème de la faim dans le monde est bel et bien lié à l'égoïsme de nos sociétés. Nous avons la capacité de nourrir tout le monde, à condition de donner à ce problème la priorité absolue.
Nous n'avons aujourd'hui que le mot « développement » à la bouche mais le développement est à la fois un concept moderne et une réalité millénaire. Alors qu'est-ce qu'un développement vraiment humain ? C'est un développement qui devrait permettre à des populations, partant de leurs propres ressources, de les mettre en valeur et ainsi de construire leurs propres économies. Autrement dit, au lieu de courir derrière un modèle occidental qu’elles ne rejoindront jamais, ces populations devraient tenir debout par elles-mêmes en partant de leurs propres ressources. Ce n'est pas utopique car elles l'ont fait pendant des millénaires. Les Africains, par exemple, vivaient et se développaient normalement avant d'être colonisés. Je l'affirme solennellement : tant qu'on intégrera pas l'élément humain, tant que l’on restera uniquement sur le plan économique, on ne pourra jamais parler de vrai développement.
C’est sur ces propos passionnés de Pierre Rabhi, que nous allons clôturer cette 1ère partie de notre thème « La Terre nourricière et le monde paysan ». Comme je vous l’ai annoncé, la prochaine et 10ème émission poursuivra donc sur ce sujet. Plusieurs grandes questions seront à l’ordre du jour : la souveraineté alimentaire à nouveau, l’aide alimentaire, les semences et les OGM,…il sera question du réchauffement climatique et probablement aussi des relations entre la faim, la misère, la pauvreté et la violence et le terrorisme. Et donc, à très bientôt, bon courage à chacun, avec mon amical et fraternel bonsoir.
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