Les Samos du Sud au Burkina Faso
7ème émission septembre 2005
Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Rappelons pour les nouveaux auditeurs que l’émission « Regards du Sud »
veut élargir nos regards aux dimensions du monde, en essayant de répondre à la
question vitale : « Comment construire, tous ensemble, un monde plus
fraternel ? ». C’est une émission qui se veut pleine d’espoir en
particulier pour les jeunes
générations,
pleine d’espoir mais sans aucune complaisance pour le monde déboussolé dans
lequel nous sommes. Récemment, pour mieux connaître la diversité de notre
monde, nous avons survolé à grande vitesse de nombreux peuples indigènes,
aujourd’hui nous nous centrerons sur une seule société humaine, située au
milieu de l’éventail entre eux et nous, et nous approfondirons son mode de
fonctionnement.
Lors de la 1ère émission, j’avais évoqué, en commentant mon dernier voyage au Burkina Faso, que je me présentais souvent aux burkinabè comme un « samo blanc de Toma », aussi nous parlerons de l’ethnie samo au Burkina Faso, et plus précisément des samos du Sud. La 7ème émission s’intitulera donc « Les samos du Sud au Burkina Faso ». A travers cette ethnie, nous décrirons ainsi le fonctionnement de nombreuses sociétés rurales au Burkina Faso, en Afrique et ailleurs….c’est un regard du passé surtout, du présent un peu, mais aussi peut-être du futur, comme le disait un ami de l’Afrique : « loin d’être des anachronismes, les sociétés tribales de l’Afrique offrent à l’humanité un héritage d’extraordinaires expériences sociales qui pourraient se révéler cruciales pour notre avenir ». Et, n’ayez pas peur, aujourd’hui nous allons aussi jouer aux métiers : à l’économiste, à l’ethnologue, au sociologue…
Eh bien, tout de suite, je vous invite à jouer un instant avec moi à l’économiste, puis nous irons à la rencontre des samos du Sud.
Selon les économistes éclairés,
il existe 3 forces de cohésion sociale pour survivre à plusieurs, échanger et
faire société, c’est-à-dire 3 types d’économie : économie de marché,
économie de prélèvement et de redistribution par une autorité, et enfin « économie
de don et de réciprocité »…Les deux premiers types sont classiques et bien
connus de chacun. La
formulation
« économie sociale de marché » du projet de traité constitutionnel
sur l’Europe les amalgamait. Ces deux types concernent surtout des notions
d’échanges, de possession et « d’avoir ».
Quant au 3ème type,
l’économie de « don et de réciprocité » intègre ces mêmes notions « d’avoir »,
mais aussi une dimension essentielle « d’être », de liens, de
relations...par exemple chez nous les multiples associations de bénévoles, à
dominante solidarité, sont représentatives de ce type d’économie, où les
valeurs de relations confiantes, d’amitié, de générosité…sont le moteur
essentiel. Ce 3ème type était et est encore toujours présent dans
les sociétés, dites « moins développées ». Rappelez vous deux
exemples chez les peuples indigènes : les Yanomami au Brésil où « le gibier
est toujours échangé entre les voisins et les familles, celui qui l’a tué ne le
consomme pas mais reçoit sa part d’un autre chasseur », et
aussi les Penan, chasseurs-cueilleurs nomades, qui
vivent dans la partie malaisienne de l’île de Bornéo : « leur
organisation socio-économique est fondée sur l’égalité et
Pour
faire connaissance avec les samos du Sud, qu’on appelle aussi les sanan au pluriel, et qui habite donc le pays san, san au singulier, je vous
propose une initiation progressive en 3 étapes :
D’abord, ce que l’on apprend assez vite sur
place, à travers les observations, les échanges et les relations d’amitié,
Ensuite en 2ème stade je vous ferais
part des travaux d’une chercheuse de notre CNRS sur les samos du Sud : Suzanne Platiel est une linguiste qui a beaucoup travaillé
dans les années 1970 sur les contes de là-bas, et qui a écrit en 1984 un
ouvrage intitulé « La fille volage et autres contes du pays san », chez Armand Colin collection classiques
africains,
Enfin 3ème stade de l’initiation,
Claudette Savonnet-Guyot, une autre chercheuse du
CNRS a écrit en 1986 « Etat et Sociétés au Burkina » aux éditions
Karthala : elle décrit l’extrême subtilité des systèmes, qui, avant
l’Etat, structuraient l’espace africain, regroupaient les hommes en
collectivités et réglaient leurs échanges. Elle approfondit les 3 types
fondamentaux de sociétés rurales sédentaires, à travers 3 exemples : société
lignagère (basée sur le lignage, la famille étendue) avec l’ethnie birifor, hiérarchique avec l’ethnie majoritaire du Burkina,
les mossis, et entre les deux, une société villageoise comprenant un double
pôle : le lignage ou grande famille et le village avec la description de
l’ethnie bwa,….
Les samos du Sud font partie de ces nombreuses sociétés paysannes africaines à base villageoise, comme les bwa, les senoufo, les dogon, les bambara. Nous élargirons donc largement notre regard avec Claudette.
Pénétrons dans ce 1er stade d’initiation : ce que l’on apprend rapidement sur place sur la tradition :
D’entrée l’importance des salutations : (le
matin) bonjour, fogouni, tu vas bien ? Hum yô douen ? Je vais bien, mô yo douen,
et ta famille ?, Ka mi nin dô ?
Ils vont bien, oum’ta sini ou aussi peut-être plus musical, oum ta kaka,
Les samos du Sud sont autour de Toma (à 200km à
l’Ouest de Ouagadougou), maintenant chef-lieu de la province du Nayala. Ils
sont très différents des samos du Nord, de Tougan,
chef-lieu de la province du Sourou, différents par
les traditions, les langages, ..etc
Les samos du Sud, établis dans les villages,
sont des agriculteurs sédentaires, on utilise plus volontiers le terme de cultivateurs et 3 noms de familles suffisent
à identifier 80% des samos du Sud : Toë, Paré et
Ky,
Le village chef-lieu de Toma (quelques 15000
habitants) a 7 quartiers et autant de chefs de quartier,
Le chef de village est un Paré, c’est le chef de
lignage, descendant des 1er occupants des lieux, jadis, avec les chefs de
quartiers, il avait un rôle important, il traitait les problèmes
administratifs, il jugeait les vols de bétail, vols de matériel,..
Le chef de terre est un Toë,
« au nom du sol de Toma », c’est, en quelque sorte, le chef animiste,
qui fait les sacrifices de poules, sur les lieux sacrés,
En matière de religion : presque tous sont
animistes (importance des ancêtres, de la terre nourricière, des lieux sacrés,
des masques sacrés, des rituels, …). C’est à Toma
qu’il
y a eu la 1ère mission catholique de Haute Volta, en 1913, avec 2 conséquences :
une majorité parle français et est catholique, mais un catholicisme teinté d’un
fond d’animiste, il y a aussi de nombreux musulmans mais tous manifestent une
extrême tolérance réciproque,
3 groupes socio-professionnels :
cultivateurs (90%), les forgerons et les griots (considérés comme inférieurs),
La famille étendue, composée de plusieurs
familles restreintes, vit dans le même enclos, sous l’autorité du chef du
lignage, qui est le chef de maison,
Enfants : c’est le domaine de tout le
monde, chacun a le droit de les corriger, les enfants
s’occupent des enfants plus jeunes,
L’adolescence est la période d’initiation aux
rites de leurs familles et de leur ethnie,
La médecine traditionnelle est importante :
les secrets et les dons sont gardés par les familles, les hommes surtout,
parfois les femmes. Enseignement de père en fils dans les villages :
réduction de fracture,.. guérison par les plantes,
connaissances gardées secrètes,
Mariage : pas de mariage entre proches, les
filles n’héritent pas, la veuve du grand frère revenait au petit frère (c’était
une forme de lévirat),
Les funérailles, qui ont lieu quelques mois
après le décès et l’enterrement, sont réservées aux personnes âgées, c’est un
départ normal, c’est la fête, on boit, on chante, cela coûte cher,
Les jeunes n’ont pas de grande cérémonie, pas de
tam-tam car c’est triste,
Les samos et les mossis sont parents à
plaisanterie, nous expliquerons cette notion importante un peu plus loin.
Entrons
maintenant dans le 2ème stade de l’initiation avec Suzanne Platiel,
du CNRS, brillante linguiste, qui a beaucoup étudié les contes samos entre 1968
et 1971, et dont une quarantaine sont présentés en langue san et traduits en français, dans l’ouvrage cité précédemment et édité en
« Il nous semble, dit-elle, que nous
sommes passés à côté de l’essentiel. Peut-être, aurait-il mieux valu décrire la
vie dans ces villages sanan, au fil des jours et des
nuits, en saison sèche et durant l'hivernage, évoquer ce bruit lancinant des
pilons, le jour, qui ne s'arrête que pour être repris par l'écho des tambours
proches ou lointains tout au long de la nuit; décrire la queue des femmes
autour du puits, leur file indienne quand elles rentrent des champs, leurs
corbeilles débordantes de mil sur la tête, et leurs rires quand elles
reviennent en groupe au village portant leurs énormes fagots ; de jeunes
garçons demi-nus que l'on croise le long des chemins, leurs brochettes de
crapauds dépecés sur l'épaule. Peut-être aurait-il fallu parler de l'animation
des marchés, des vieux hommes assis à l'ombre des greniers ou sous les hangars,
tressant leurs paniers et leurs cordes ; des promenades des jeunes gens au
crépuscule, les garçons dans un sens et les jeunes filles dans l'autre.
Fallait-il plutôt évoquer l'odeur âcre et sucrée de l'huile de karité que les
femmes préparent, les arbres dressant leurs branches tordues dans le ciel blanc
de chaleur, le bleu du ciel au petit matin et le rouge de la Terre, les vols
des termites que l'on attire la nuit avec une lumière que l'on grille dans les
braises et que l'on croque en bavardant, le rougeoiement du ciel au-dessus de
l'enclos des potières les soirs de cuisson, les réunions et les rires autour
des canaris à bière, les rondes des fillettes, les chants des enfants nus, les
salutations qui semblent ne jamais devoir finir, la grâce des gestes, les repas
partagés... Car les contes baignent dans cet univers et c'est de ce monde
qu'ils nous parlent, dans cette langue simple et sans aucun effet stylistique
qui est la leur, ils nous disent aussi le quotidien, au fil de l'histoire
qu'ils nous racontent et au-delà d'elle-même, leur trame est faite de tous ces
menus gestes dont est tissée la vie de tous les jours. Et c'est justement parce
que l'insolite et le merveilleux se trouvent inextricablement mêlés à notre
univers le plus banal et le plus familier que les contes ont sur nous cet
étrange pouvoir qui nous mène à nous identifier aux héros les plus fous et à
croire aux histoires les plus invraisemblables »
Après cette description époustouflante de réalisme et de vie, et toujours au 2ème stade de notre initiation, revenons à Suzanne, notre linguiste et à sa synthèse sur les samos du Sud. Elle nous dit que les travaux des chercheurs, les siens et d’autres, Françoise Héritier notamment, montrent que les samos du N et ceux du Sud, qui représentaient ensemble 140 000 personnes en 1975, sont considérés comme deux ethnies différentes.
Occupons-nous donc des 40 000 samos du Sud en 1975, autour de Toma. Les samos du Sud sont aussi appelés les samos de Toma, les maka, les nyana, les sanan et (san au singulier). Leur peuplement, autour de Toma est récent, quelques deux siècles : on se souvient de l’ancêtre fondateur (le 1er occupant), et du nom du village d’origine, venus s’installer dans territoires voisins inoccupés depuis le S et SW, de régions occupées actuellement par les gourounsi et les marka, probablement suite à de mauvaises conditions matérielles : sécheresse, mauvaises récoltes, maladie liée à une mouche... Ce n’est pas une société de guerriers, les griots ne célèbrent pas l’histoire des conquêtes, et la mémoire est donc limitée dans le temps.
Suzanne Platiel nous décrit leur mode de vie traditionnel, les évolutions actuelles seront évoquées en suite.
Le Burkina est un pays tropical avec le Sahel au
Nord et la savane un peu plus arrosée au Sud ; deux saisons : la
saison des pluies, qu’on appelle aussi hivernage (de mai à novembre) et la
saison sèche (de décembre à avril).
L’hivernage consacré essentiellement aux travaux
des champs et la saison sèche, temps mort pour les cultures, est centrée sur
les travaux domestiques, les visites aux parents éloignés, les réunions et
rencontres, c’est le temps des fêtes traditionnelles et religieuses, (nouveau mil,
luttes inter villageoises,), des funérailles, des chasses collectives, c’est
aussi la saison des contes.
Femmes : ramassage du bois, puisage de
l’eau, entretien maison, préparation et cuisson des aliments, entretien petit
jardin pour varier la saveur du tô (farine de mil),
avec des sauces différentes (piments, épinards, oseilles, aubergines,..). Elles
cueillent des végétaux alimentaires sauvages avec les enfants, elles cardent et
filent le coton, fabriquent le beurre de karité pour leur consommation, et la
bière de mil, le dolo, pour la vente et se constituer un petit pécule. A
l’hivernage, les femmes samo du Sud ne participent pas aux travaux des champs,
elles apportent la nourriture aux hommes et les aident à rentrer la récolte.
Hommes : hivernage : préparation des
champs, mil, sorgho, haricot vert, coton (avant pour besoins familiaux ),
arachides, sésame, riz plus récemment dans les bas-fonds, en saison sèche, chasse,
et travaux domestiques, vannerie, cordages, construction ou réparation des
maisons et greniers, les jeunes garçons gardent chèvres et moutons nécessaires
à la famille, car il y a de moins en moins de gibier. Avant le bétail était
confié aux Peuls, le bétail nécessaire pour le prestige et pour les échanges.
Les samos ont la réputation d’être de très bons
cultivateurs, il y a eu introduction de la culture attelée et des engrais mais
il y a encore beaucoup d’agriculture itinérante sur brûlis à la houe, la daba.
Artisanat domestique : fabrication de
cordes (écorce d’arbres et herbes), de paniers, de portes en paille tressée.
Les cases sont quadrangulaires avec toiture en
terrasses, murs en briques de terre crue (banco, pisé) sans charpente avec un
crépi soigné, le sol est damé pour éviter l’invasion des termites.
Résidence patrilocale : tous les hommes
d’un même lignage habitent avec leur épouse et leurs enfants dans un même
enclos, chaque épouse a sa case personnelle où elle
dort avec ses enfants, tandis que le chef de famille a sa case qu’il partage
avec ses fils pubères, en attendant qu’ils construisent leur case, qui se
rajoutent à l’enclos. Pour les vieilles familles, les enclos sont de véritables
quartiers de village avec courettes et ruelles où on se perd.
Les greniers à mil sont très différents selon
les ethnies, les greniers samos sont impressionnants, ils ont 4/5 m de haut et
sont à base carrée surélevée avec un sommet conique, coiffés d’un chapeau
chinois tressé.
L’artisanat (bois, cuir, métaux, tissage,
teinture, poterie), qui avait une valeur symbolique et religieuse, perd ses
notions qui lui étaient essentielles, les objets manufacturés occupent la
place.
Village
divisé en quartiers, regroupant plusieurs maisons ou enclos, chacun comprenant
plusieurs familles restreintes, chef de village, chef de quartier, chef de
maison (famille étendue), chef de famille.
Il existe des alliances entre villages
autonomes : de coopération (assistance en cas de guerre, participation aux
grandes chasses et pêches collectives, coordination du calendrier des marchés
et des feux de brousse).
La maison ou l’enclos, est sous l’autorité du
chef de maison, l’aîné du lignage, ligne paternelle avec ancêtre commun (30/40
personnes ou beaucoup plus), autorité qui passera à sa mort au frère, sinon au
fils.
Les samos, société où la polygamie était
fréquente, avec des ménages à 2 ou 3 épouses la tendance est à la monogamie
chez les jeunes.
La coutume est de se marier dans sa propre
ethnie.
Organisation patrilinéaire, c’est-à-dire tout
passe par la branche père/fils, avec quelques exceptions :
o Les filles héritent des objets personnels de leur mère.
o Le « neveu utérin » entretient un rapport particulier avec ses oncles maternels, les frères de sa mère. Il est autorisé à recevoir du vivant et à prendre objets, argent, volaille,.. restitué à sa mort à la famille maternelle
o Les enfants sont propriété du lignage paternel, ils restent avec le père si la femme abandonne l’époux.
o Les veuves étaient héritées par les frères cadets du défunt, forme de « lévirat », ce qui est interprété parfois comme une condition de leur survie et un acte de solidarité familial.
Progression de la désertification vers le Sud
(démographie et déboisement conséquent, absence de gros gibier,..)
Malgré colonisation et implantation mission
catholique en1913, peu de modifications dans les habitudes de vie et
l’organisation de leur société.
Mais, à tous les niveaux de l’organisation de la
famille et de la société, on va retrouver des déséquilibres et des tensions
créées par une situation où le mode de vie se perpétue alors que l’éthique qui
le sous-tendait n’est plus acceptée.
Au sein de la famille, l’autorité du chef de
lignage s’est partiellement conservée, alors que le chef de village et le
conseil des anciens ont été dépossédés de leur pouvoir de décision politique et
juridique, et de leur rôle d’arbitre.
Pour achever ce 2ème stade d’initiation, et
avant une nouvelle pause musicale, je vous propose de savourer un conte samo,
qui s’apparente plus au mythe, et qui nous explique l’origine de l’ordre du
monde. Il s’intitule « Le cycle de la vie ou comment le monde fut créé » :
« Quand vient
mon conte... C'est ainsi que cela s'est passé... Il y a très très longtemps. Il s'agit d'un lézard et d'un œuf, un jour
ils décidèrent qu'ils voulaient manger du raisin. Ils partirent donc en
brousse, ils marchèrent, ils marchèrent...et, enfin, ils arrivèrent auprés d'un raisinier. Le lézard,
aussitôt, grimpa sur l'arbre, mais comme l'œuf n'arrivait pas à grimper, le
lézard redescendit de l'arbre et, poussant l'oeuf par
derrière, il le mit sur l'arbre et lui-même y grimpa de nouveau, puis, tous
deux se mirent à manger du raisin, s'empiffrant jusqu'à n'en plus pouvoir. Or,
au moment de redescendre, voilà que l'oeuf ne
parvenait pas à descendre ! Le lézard, lui, était déjà descendu, aussi l'œuf
lui cria-t-il : -Fais-moi un tas de terre molle, que je puisse me lancer
et venir tomber dessus ! Le lézard fit, en effet, un tas de terre molle, mais
il avait pris une pierre et l'avait enfouie au beau milieu du tas, et notre œuf,
en tombant, vint s'écraser sur cette pierre ! Le lézard voulut en rire, mais
il y eût une herbe qui lui trancha la gorge ! L'herbe voulut en rire, mais
un feu brûla l'herbe ! Le feu voulut en rire, mais de l'eau éteignit le
feu ! L'eau voulut en rire, mais des animaux sauvages burent l'eau ! Les
animaux sauvages voulurent en rire, mais les chasseurs les tuèrent avec leurs
fusils ! Les chasseurs voulurent en rire, mais la mort tua les chasseurs !
La mort voulut en rire, mais la vie foudroya la mort ! La vie voulut en
rire, mais Dieu gâta la vie ! Et quand Dieu eut anéanti ce vieux monde,
complètement, c'est alors qu'il recréa un nouveau monde.
Et ce monde-là,
c'est celui dans lequel nous sommes. Et si cette aventure ne s'était pas
produite, notre monde d'aujourd'hui n'existerait pas. Mon gros conte a mûri
complètement ».
Dans ce 3ème stade d’initiation, Claudette Savonnet-Guyot, au-delà des samos du sud, élargit notre regard aux sociétés rurales africaines du même type villageois :
Les cultivateurs (90% de la population) ont leur
travail le plus valorisé, les forgerons et griots sont quasiment des castes
fermées héréditaires, condamnés à vivre des services rendus à la communauté des
hommes.
Il y a un équilibre entre les 2 pôles,
maison/village, que nous allons expliciter
Au niveau de la maison (famille étendue de quelques dizaines de personnes)
La maison c’est une cellule familiale + exploitation
économique + unité politique,
Les hommes entrent dans la maison par naissance
ou par adoption, les femmes par mariage,
Chaque maison dispose d’un droit d’exploitation
sur un territoire communal,
Chaque maison a ses propres autels où sacrifie
le chef de maison,
La politique matrimoniale est décidée par le
chef de maison,
La production est conduite de façon
collectiviste, en distinguant : production, stockage, consommation,
commercialisation,
L’intérêt individuel passe toujours après
l’intérêt général, représenté au 1er niveau par la maison, au 2nd niveau par le
village,
Il y a distribution du pouvoir dans le cadre de
la maison : seul le chef commande, mais il existe une subtile division du
pouvoir pour le modérer, avec trois autres responsables :
Un chef des cultivateurs, du groupe des
cultivateurs (hommes adultes),
Un chef des greniers, en charge du stockage, de
l’intendance générale, de la gestion de la production.
Un chef de la répartition, portant le souci de
la justice distributive,
Le chef de maison gère la maison avec deux
conseils : le conseil des anciens (les plus vieux), et le conseil de
maison (anciens, chefs des cultivateurs, des greniers et de la répartition)
La nomination des responsables est effectuée par
le chef de maison, après consultation du conseil de maison, et ensuite une
large autonomie leur est laissée dans la conduite des affaires,…
L’autorité s’exerce de façon collégiale, avec la
mise en œuvre de procédures destinées à faire échec d’avance à toute tentative
d’abus de pouvoir de la part des gestionnaires, et, symétriquement, à toute
contestation inorganisée et anarchique de la part des producteurs.
Par exemple : un cultivateur a un problème,
il le soumet au chef des cultivateurs, celui-ci au chef de la répartition, ce
dernier au chef de la maison, qui consulte ses deux conseils d’anciens et de
maison. La requête et la réponse sont publiques pour que nul ne soit tenté
d’obtenir un avantage au détriment de l’intérêt général.
Il existe toujours un recours et des sanctions
contre les abus d’autorité, même vis-à-vis du chef de maison.
Au niveau du village :
C’est le même esprit d’équilibre qui prévaut.
Le village est l’expression d’une commune
volonté de vivre ensemble sur un même espace. Le loyalisme villageois suppose
un effacement progressif de l’ancien lien d’appartenance lignagère. Le facteur
d’unité est la référence aux mêmes croyances religieuses, où l’initiation se
fait par classes d’âges, séparément pour les garçons et pour les filles, avec
des promotions tous les 6 ou 8 ans, privilégiant les relations égalitaires et
champs
du futur beau-père, avec l’aide de camarades de la même classe d’âges,
complétée par quelques dons symboliques (ex 1 poule blanche, 5 noix de cola,
quelques cauris).
Il y a plusieurs degrés dans l’initiation, dont
la vocation est la préparation aux responsabilités d’hommes, à travers un long
cycle d’épreuves, à la fois redoutables et désirables. Chaque promotion se dote
d’une organisation démocratique et élit un chef. Entre promotions, au sommet de
l’association, il y a parmi les plus anciens, un responsable dit sacerdotal,
qui a un rôle important dans le village.
Nous avons déjà vu que le chef du village est le
représentant le plus âgé du lignage fondateur. Il existe aussi auprès de lui,
au niveau du village, des responsables de la gestion, de la répartition,
également un conseil des anciens. Il existe donc un équilibre entre deux
autorités au niveau du village, une d’essence sacerdotale ou sacrée, l’autre
d’essence politique.
Les forgerons et les griots étant considérés
comme initiés de naissance, sont exclus des initiations. Ils ont des fonctions
sociales essentielles au niveau du village : ceux sont des agents de
socialisation, avec un rôle public, parfois théâtral pour le maintien de la
cohésion interne. Les forgerons sont associés à la terre : l’homme extrait
les minerais, forge le fer, travaille le bois, la femme travaille l’argile et
façonne des poteries. Ils forent les puits, enterrent les morts. Ils sont
présents dans tous les conflits catalysant par leur parole la colère des uns et
le ressentiment des autres.
Les griots sont des musiciens, mémoire du passé
généalogique des lignages et de l’histoire collective du village. Ils sont
intimement liés à tous les actes de la vie des individus et de la communauté
qu’il leur appartient d’enregistrer (témoin, gazette, présents aux moindres
querelles).
Chers auditeurs, avant que votre
initiation ne s’achève, je voudrais comme promis, évoquer la « parenté à
plaisanterie » : au Burkina Faso, une coutume ancestrale devient gage
de paix entre les différentes ethnies. Ce pays de quelques 13 millions
d'habitants compte environ 60 ethnies différentes, qui cohabitent depuis
toujours sans heurts particuliers. En partie à l'origine de cette cohabitation
pacifique, une tradition très ancienne, issue non pas de liens familiaux mais
plutôt de relations sociales, voire commerciales entre deux ethnies. Ce que
l'on appelle là-bas la parenté à plaisanterie. Le principe maître en est le
suivant : il ne doit jamais y avoir
de
discordes, bagarres, altercations violentes, entre deux parents à plaisanterie.
Ainsi, ils peuvent se dire toutes les vérités, même les plus désobligeantes,
exprimer toutes les rancoeurs, allant parfois jusqu'à
l'insulte tout en gardant le ton de
Illustrons cette notion avec nos samos du sud. Ceux-ci sont parents à plaisanterie avec les mossis, qui représentent plus de la moitié des burkinabè. L’ethnie samo, avec les 3 noms de Paré, Toë et Ki regroupent 80% des samo du sud, quant aux noms de Ouedraogo et Sawadogo, très répandus, il n’y a aucun doute : ceux sont des mossis. Rencontrant un burkinabè, ici ou là-bas, nous avons de fortes chances (1 sur 5 ou 6), qu’il s’appelle Ouedraogo ou Sawadogo. Auprés d’eux, pour ma part, je me présente toujours malicieusement comme un samo blanc, ils me regardent d’abord bizarrement, et, tout de suite, nous nous traitons mutuellement d’esclave, la glace est rompue, et la proximité du mossi et du samo blanc est quasi immédiate. Si vous voulez en savoir plus sur la richesse de cette parenté, si vous voulez accéder à la 4ème étape de votre initiation africaine, cherchez sur internet avec un moteur de recherche « parenté à plaisanterie » et vous ne serez pas déçu de la richesse de cette notion.
Alors, maintenant pour terminer, comme d’habitude l’annonce de la prochaine émission. Aujourd’hui, nous avons entraperçus les subtilités de fonctionnement de sociétés africaines rurales, sous-développées, pensions-nous à tort. Nous avons beaucoup à apprendre de ce continent, et notre 8ème émission essaiera de lister quelques richesses que l’Afrique peut nous apporter dans le domaine de « l’être », où nous sommes désespérément handicapés.
Elle s’intitulera : « Qu’avons-nous à apprendre de l’Afrique ? »
Et donc, à très bientôt avec mon amical et fraternel bonsoir, en compagnie d’Aline-Viviane Zongo, africaine qui nous adresse un souriant clin d’œil plein de couleurs :
« Lorsque je nais, je suis noir, Lorsque
je grandis, je suis noir, Lorsque je suis malade, je suis noir, Lorsque j'ai
froid, je suis noir, Lorsque j'ai peur, je suis noir, Lorsque je vais au
soleil, je suis noir, Lorsque je meurs, je suis et je reste noir…
Toi, Homme blanc, tu nais, tu es rose, Tu
grandis, tu es pêche, Tu es malade, tu es vert, Tu as froid, tu es bleu, Tu as
peur, tu es blanc, Quand tu vas au soleil, tu es rouge, Quand tu meurs, tu es
mauve, Et tu oses me traiter d'Homme de couleur... ! »
lectures...